Groupe UMP SENAT
Ordre du jour
Lire aussi
La course à l’Arctique
L’axe Damas-Téhéran
Les diasporas indiennes dans le monde
Sommet UE - Brésil : vers un partenariat stratégique
Agenda
Rechercher
La lettre d'information
Spécificités du Sénat
Nos sénateurs
  Par noms
  Par départements
Europe
  Regards sur l'Europe
  Flash Europe
  Actualités Européennes
International
  Regards sur le monde
  Repères internationaux


Archives
Liens utiles
 
Accueil - International - Repères internationaux

Les tensions religieuses de l’Inde au 21ème siècle

Sur le milliard cent millions de citoyens de l’Union indienne en 2007, on dénombre approximativement 82 % d’hindous, les autres religions, minoritaires par le fait, totalisent 18 % de la démographie indienne.

La répartition de ces minorités non hindouistes est à peu près la suivante : 12 % de musulmans, soit environ 150 millions de fidèles, parmi lesquels on compte 20 millions de chiites, soit 1,80 % de la population de l’Inde ; 2,5 % de chrétiens, soit 27 millions, formés par deux groupes bien distincts, les chrétiens du sud-ouest de la péninsule, christianisés dès la haute antiquité chrétienne à partir du sud de la Mésopotamie, et les chrétiens des régions du nord-est situées aux confins sino-birmans évangélisés à la fin du 19ème siècle par les missionnaires anglais, sans oublier les descendants des missions de Saint François-Xavier au 17ème siècle. On compte aussi trois religions qui sont nées en Inde : les bouddhistes, environ 0,79 % soit 6 millions ; les sikhs, nés d’une tentative de fusion au 15ème siècle entre l’islam et l’hindouisme, formant aujourd’hui avec 23 millions de fidèles 2 % de la population de l’Union qui sont principalement concentrés au Pendjab ; et enfin les jaïns, religion contemporaine dans sa formation de la naissance du bouddhisme, qui compte 4 millions d’adeptes représentant 0,3 % de la population. Il y a enfin deux micro minorités, la minorité juive, aux environs de Goa Cochin, et les parties de Bombay descendants de Zoroastre, les zoroastriens, célèbres pour leur réussite économique.

Si, sur le plan politico constitutionnel, la pluralité des confessions est garantie dans le cadre des principes démocratiques de l’Inde, dans la vie quotidienne de la société indienne les réalités sont plus complexes. Depuis vingt ans, l’Inde connaît une vague « safran » caractérisée par une forte poussée identitaire qui considère que l’indianité si elle est pluriethnique ne saurait être pluriconfessionnelle et devrait reposer sur un monolithisme religieux, celui de l’hindouisme. Les adeptes de cette idéologie considèrent par ailleurs que les religions qui ne sont pas nées en Inde, comme l’islam et le christianisme, doivent quitter le pays. La deuxième partie du 20ème siècle aura été caractérisée dans l’hindouisme par une évolution, dans ses formes intellectuelles et ses expressions politiques, vers une forte intolérance. Parallèlement, une autre partie des élites religieuses évoluait vers un hindouisme modernisé plus compatible avec la réalité multiconfessionnelle du pays.

Du point de vue musulman, l’Union indienne est aujourd’hui le deuxième pays musulman au monde. Cette réalité doit conduire à écarter immédiatement une idée toute faite selon laquelle les musulmans de l’Inde seraient une sorte de cinquième colonne du Pakistan. Les musulmans de l’Inde sont très attachés à leur pays et aussi fortement nationalistes que les hindous. L’islam indien, relativement favorisé à l’époque de la présence britannique, est majoritairement sunnite. Les minorités chiites du Cachemire ou de la région d’Ould ont cependant joué un rôle important dans l’histoire du pays. Ainsi au 19ème siècle, les Britanniques, soucieux de contrôler la Mésopotamie, ont encouragé le Sultan d’Ould à financer les lieux saints chiites de la Mésopotamie qui avaient été détruits par les Wahhabites saoudiens venus d’Arabie en 1802. Les musulmans de l’Inde vivent principalement dans les états du nord du pays. La communauté sunnite n’est pas unifiée et se retrouve partagée entre écoles et confréries rivales, voire ennemies. Sur le plan de l’identité historique, l’islam se retrouve indien et associé aux heures de gloire de l’histoire du pays. L’islam indien est un islam pluriel ethniquement et confessionnellement, et ne saurait en aucun cas être considéré comme un bloc. Comme tous les ensembles musulmans, il connaît au 21ème siècle les montées en puissance de l’intégrisme islamiste. Cette situation de minorité de l’islam indien, une minorité de 120 millions de fidèles, n’empêche pas l’islam de jouer un rôle important dans la vie culturelle de l’Inde et au-delà même, par la qualité de ses théologiens et de ses oulémas.

Ni minorité persécutée, ni minorité ghéttoisée, l’islam indien se considère comme un membre à part entière du fait indien, de la nation indienne et de l’Union indienne. Cette réalité permet à New Delhi d’utiliser aussi l’islam indien dans sa géopolitique désormais planétaire.

La composante musulmane importante de l’Inde n’empêche pas pour autant les autorités d’avoir le sentiment d’une menace potentielle. Mais le sens de la pluralité et de la complexité sociologique du pays, et en même temps l’héritage multiséculaire composite de l’âme indienne, empêche l’Inde actuelle de tomber dans une croisade antimusulmane, ou encore de céder au fantasme de la citadelle assiégée.

Autre religion minoritaire, le bouddhisme, qui a pratiquement disparu du pays qui l’avait vu naître, a connu depuis une cinquantaine d’années un nouvel essor dû à ses vertus égalisatrices, telles que son rejet du système des castes. Cette attitude a attiré vers le bouddhisme nombre d’intouchables. Cependant, le bouddhisme contemporain de l’Inde joue un rôle politique pratiquement insignifiant.

Quant au jaïnisme, il demeure un phénomène résiduel.

Il n’en va pas de même du sikhisme concentré dans le nord-ouest du pays, principalement au Pendjab qui s’appuie sur une importante diaspora dans les pays anglo-saxons. Les Sikhs, qui ont toujours craints d’être dirigés par l’hindouisme ont connu, lors de la Partition, de terribles persécutions de la part des musulmans du Pakistan actuel, les entraînant à fuir vers l’Inde. Cette émigration vers l’Union indienne s’est transformée au gré des années en une revendication identitaire des Sikhs qui a pris une tournure nationale et a défini, dans un premier temps, une ambition d’autonomie régionale, et aujourd’hui, d’indépendance territoriale. De là sont nées d’intenses frictions entre New Delhi et la communauté sikhe. L’assassinat d’Indira Gandhi et de son fils par les Sikhs a quelque peu modifié les relations entre les communautés, transformant la société sikhe, malgré son intégration réelle à l’Union indienne et à l’armée, en une société vivant dans un état de guerre civile larvée.

Quant aux chrétiens, ceux du Kerala, du sud-ouest de l’Inde, qui ont été évangélisés par les missionnaires venus de Syrie et de Mésopotamie, ils connaissent un foisonnement de rites et d’obédiences bien que la plupart se soient rattachés à partir du 17ème siècle à l’autorité du Pape. Cependant, il est intéressant de noter que l’état le plus chrétien de l’Union indienne, celui de Kerala, est celui où le parti communiste est au pouvoir depuis des décennies. Pays de très vieille tradition chrétienne mais aussi de culture tamoule, le Kerala témoigne de la vitalité de la foi chrétienne mais aussi de culture tamoule en Inde. La chrétienté indienne de cette région aime à rappeler qu’elle est bien antérieure à l’arrivée de l’islam dans le monde indien. Profondément enraciné dans son christianisme oriental et dans son indianité, le Kerala connaît peu de problème géopolitique.

Il en va autrement des minorités converties par les Anglais dans l’est de l’Inde, dans des régions qui n’avaient d’ailleurs jamais appartenu à l’Inde et qui se sont retrouvées, à cause de la colonisation britannique, rattachées à l’Inde, ces régions qui sont au-delà de ce que l’on appelle « le cou de poulet » à l’extrême nord-est du pays. Dans un imbroglio d’ethnies, de religions bouddhiste, animiste, musulmane, les différentes formes de protestantisme et de catholicisme s’entremêlent pour donner à cette partie de l’Inde un aspect compliqué qui pourrait un jour, malgré les efforts de l’Etat central, aboutir à un certain cataclysme ethnico confessionnel. Jusqu’ici New Delhi a toujours su adapter les poussées sécessionnistes de ces régions situées aux confins de la Birmanie et de la Chine, et maintenant du Bangladesh, en concédant des formes de fédéralisation. Mais la poussée migratoire de millions de Bangladais quittant leur pays surpeuplé est en train de faire exploser la région.

Ainsi, la majorité hindouiste et ses minorités semblent vivre pour l’instant dans une relative bonne intelligence. Mais, ne doit-on pas s’attendre à ce que les tensions religieuses ébranlent la grande démocratie indienne et entament l’autorité de l’Etat ?

Un premier élément de réponse peut être trouvé dans la constance des violences interconfessionnelles qui secouent régulièrement l’Inde. Celles-ci peuvent être sporadiques ou limitées, ou prendre une grande échelle comme ce fut le cas lors de la mort d’Indira Gandhi en 1984. A ces éruptions, il faut ajouter des dizaines d’attentats ou de tentatives d’attentats menés par la droite hindouiste ou en représailles par des musulmans intégristes. En un mot, s’il existe une paix religieuse constitutionnelle, dans le vécu quotidien, et la capillarité sociale de la société indienne, il n’en va pas de même

Peut être encore plus grave que ces tensions, l’Union indienne semble pouvoir être minée par une guerre religieuse qui ne dit pas son nom, une guerre des mémoires. Elle porte sur l’appréciation du rôle respectif de l’hindouisme et de l’islam dans le passé de l’Inde. Deux lectures s’affrontent, générant des tensions identitaires majeures, tensions qui pourraient à terme saper réellement le consensus confessionnel de l’Inde. La première lecture estime que la conquête musulmane, mue par un appétit féroce de pillage, a ruiné une société qui était parfaite, harmonieuse et heureuse, la société hindoue. Les milieux musulmans ont développé celle d’un islam libérateur de l’oppression du système des castes et d’un islam assurant la civilisation indienne dans l’universalité du monde musulman médiéval. Contrairement à ce que l’on peut penser, ce confit de mémoires historiques est un conflit de premier plan puisqu’il concerne la formation à travers l’enseignement scolaire de la jeunesse indienne. D’autre part, en imprégnant les consciences, il nuit à la cohabitation indienne. Ces guerres de mémoire ne font en fait que refléter le dilemme fondamental de l’Inde du 21ème siècle, lequel consiste dans l’opposition de deux modèles possibles pour l’avenir : le modèle d’une cohabitation des diversités confessionnelles au nom d’une indianité plurielle, ou le modèle autoritaire, monolithique, exclusif, hindouiste.

Groupe UMP du Sénat© 2006 Mentions légales | Plan du site | Crédits